1986 Lorsque l'avion de Ron Dennis disparait dans le ciel de ce bel après-midi de l'été 1986, Patrick Faure sait que tout espoir de retrouver le moteur Renault en piste la saison suivante vient de s'envoler. Cette réunion de la dernière chance, en plein mois d'août, entre les présidents de Mc Laren et Renault Sport, n'a en effet pu se solder par un accord. Pour la direction générale de Renault, il n'est pas question de poursuivre l'engagement en Formule 1 sans être associé à un partenaire "châssis" de très haut niveau. La conclusion est donc devenue inéluctable : Renault interrompt sa participation en F1. A Viry-Châtillon, la nouvelle tombe comme un couperet. Ce n'est pas vraiment une surprise, cette éventualité planant depuis déjà un certain temps. Seule lueur d'espoir dans cet horizon bouché, le verbe "suspendre" utilisé par le président Georges Besse lors de son annonce officielle : "Renault suspend son activité en Formule 1". Les hommes de Renault Sport essaient maintenant d'oublier la cruelle désillusion de ce titre qu'on leur a tout simplement volé. Et puis, quoique tronquée, leur aventure a finalement eu un sens : ils ont eu raison, indiscutablement raison. La preuve en est qu'il n'y a plus en F1 que des moteurs suralimentés. Peut-il y avoir plus grande, plus belle reconnaissance ? Enfin, quand on les analyse à tête reposée, les chiffres plaident largement en leur faveur : en 140 grands prix, le V6 Renault turbo a récolté 20 victoires dont 15 dans un châssis Renault, et 50 pole positions. Par ailleurs fragile et puissant de 478 chevaux seulement à sa sortie, il en a offert 1140 dans sa dernière configuration. |
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Du jour au lendemain, Bernard Dudot, qui pourtant, tout au long de sa carrière chez Renault, avait révélé les difficiles défis du sport automobile, se retrouve face à un challenge d'une tout autre nature : réussir à conserver une équipe entièrement vouée à la course en mettant tout en oeuvre pour que cette précieuse matière grise ne réponde pas aux sollicitations extérieures. Georges Douin, le patron de tous les moteurs Renault, offre alors une belle opportunité à Renault Sport en confiant deux avant-projets de moteurs de série turbocompressés à l'équipe de Dudot. |
Renault Sport existe donc toujours avec une équipe pratiquement intacte. En cette fin d'année 1986, c'est bien là l'essentiel : exister ! Une nouvelle vie commence. Pour la première fois depuis 1977, l'acteur Renault Sport est devenu spectateur des Grands Prix mais, au plus profond de chacun, la flamme de la course brûle toujours... 1987 Les travaux pour le bureau d'études avancent quand, un matin de 1987, tel un prophète porteur de la bonne nouvelle, Bernard Dudot, radieux, annonce la création d'une cellule de veille technique. A cet instant précis, Dudot pouvait se dispenser de donner plus de détails. Le message a été reçu : la F1 vient de remettre un pied dans les ateliers de Renault Sport. A quelques kilomètres de là, au siège, à Boulogne, Raymond Lévy et Patrick Faure ont engagé un sacré pari. Ils n'accordent leur feu vert qu'à une seule condition : que ces travaux préliminaires fassent gagner un an à Renault face à la concurrence dans le cas d'un retour en F1. Quinze personnes sont donc affectées à cette fameuse cellule porteuse d'espoir avec, comme premier objectif, la réalisation de quatre moteurs prototypes : un V6, un V8, un V10 et un V12 répondant aux critères édictés par les spécialistes des châssis des meilleures écuries. Si Renault doit revenir en grand prix, cela se fera dans le cadre de la nouvelle réglementation applicable en 1989. Les moteurs turbo vivent leurs dernières heures et des moteurs japonais atmosphériques ont déjà dépassé le stade expérimental. Le risque est considérable. Tout recommencer, repartir d'une feuille blanche. Le V6 1500 suralimenté de la F1 Renault était une évolution d'un moteur éprouvé. Il était né pour les protos 2 litres puis avait été utilisé en F2 et en sport prototypes avec, entre autres, une victoire aux 24 Heures du Mans en 1978, avant d'équiper la Renault F1 de 1977. L'argent débloqué, la réalisation des maquettes d'un V8, d'un V10 et d'un V12 démarre aussitôt. Un dossier de présentation extrêmement détaillé est constitué pour chacun d'eux. Bernard Dudot le présente à Gérard Larrousse, à Gérard Ducarouge et à quelques autres ingénieurs de la F1 en leur demandant quel serait le moteur de leur choix. Réponse, un V10 à angle fermé. Renault doit donc se tourner vers cette technologie. Ce n'est pas la solution la plus simple à concrétiser car ce type de moteur pose des problèmes d'équilibrage, donc de vibrations et ses échappements sont très délicats à accorder. D'autant que ce premier moteur Renault V10 3,5 litres atmosphérique doit être standard et pouvoir s'adapter à ce fameux châssis qui, pour l'instant, n'est qu'un rêve. 1988 |
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Le Renault V10 RS1, premier d'une longue lignée, est terminé fin 1987 et mis au banc le 30 janvier 1988. Dès qu'il le peut, Dudot présente les résultats des passages au banc à Patrick Faure, lequel les répercute à la haute direction. Puis la nouvelle tant attendue arrive enfin : Renault revient en Formule 1 ! |
La décision n'est rendue publique que plus tard, en juin 1988, une fois l'accord de partenariat portant sur trois ans avec Williams signé le 7 juin à la suite de longues et difficiles négociations. En octobre 1988, soit moins d'un an après la mise en chantier du V10, une Williams pilotée par Riccardo Patrese effectue au Castellet ses premiers tours de roues avec le premier Renault V10 atmosphérique dans son châssis... ![]() Lors d'essais en Espagne début 1989, au cours desquels le moteur peut être étalonné par rapport aux meilleurs, Ferrari et Honda, il s'avère tout à fait à la hauteur et même davantage. En performance comme en fiabilité le V10 Renault fait parti des meilleurs. Une saison de rodage n'est de ce fait pas nécessaire : Renault à bel et bien gagné une année ! |
Texte inspiré des livres "L'Histoire
officielle du Champion du Monde Renault" et "Champions du Monde, 20 ans de
Renault en F1" de Pierre Gaston