L'Aventure en F1
Les Années Turbo



1977

Le 10 mai 1977 à 10 heures du matin, au Pub des Champs-Elysées de Paris, le voile se lève sur une F1 de couleur jaune : la F1 Renault RS 01 Turbo est officiellement dévoilée. L'impact du projet est considérable.

Le 15 juin 1977, l'Equipe Renault-Sport fait des essais préliminaires avec la RS 01 sur le circuit de Dijon-Prenois. Les essais se révèlent relativement frutueux et aussitôt la décision est prise d'engager la voiture de course. Fort de ce feu vert, Jean Sage, directeur sportif de Renault-Sport, envoie de Dijon un télégramme au Royal Automobile Club Britannique pour faire participer la RS 01 et son pilote Jean-Pierre Jabouille au Grand Prix de Grande Bretagne de Silvertone le 16 juillet.

L'effet de cette nouvelle produit un tel enthousiasme dans le petit monde de la F1 que Renault se voit dispensé des préqualifications obligatoires. C'est en effet la première fois qu'un grand constructeur s'engage directement en compétition dans son expression extrême, les Grands Prix. Et celà en faisant appel à une technologie familière en aéronautique mais qui devait s'avérer peu aisée à maîtriser en Formule 1. Car le droit d'entrée dans ce concert sélect était de taille : la cylindrée d'un moteur turbo devait être deux fois inférieure à celle d'un moteur à admission atmosphérique, 1500 cm3 contre 3 litres.

Lors des essais du Grand Prix de Grande Bretagne, la RS 01 effectue 84 tours. Le Grand Prix n'en comporte que 64. Tous les espoirs sont donc permis...

Les résultats de le première journée ne sont guère brillants. En effet, si le moteur turbo avait déjà fait ses preuves en sport prototype en version 2 litres, ses débuts en 1500 cm3 s'avèrent beaucoup plus laborieux. Les Anglais surnommèrent d'ailleurs la monoplace Renault de Yellow Tea Pot à cause de sa couleur... et de la fumée qui s'en échappait trop souvent lors d'intempestifs arrêts. Jabouille parvient à qualifier sa voiture au 21ème rang à 1"22 de la pole position de James Hunt et sa Mc Laren Ford M26. Cette place est déjà une performance en soi. Par contre, on sait dans le camp Renault que Jabouille va être confronté à un problème de taille au démarrage. la RS 01 s'arrache moins vite que les autres. Le pilote limite toutefois les dégâts : il se trouve en 22ème position au premier tour. Puis il remonte à la 18ème au 5ème, à la 16ème au 7ème. La joie de cette remontée sera de courte durée. La RS 01 doit s'arrêter au stand pour une fuite au collecteur au 12ème tour. Puis 4 tours plus loin, Jabouille est contraint à l'abandon : le compresseur, ayant souffert des changements de pression de suralimentation rend l'âme.

Après la Grande Bretagne, la monoplace Renault participe aux Grands Prix des Pays-Bas à Zandvoort, d'Italie à Monza et des Etats-Unis à Watkins Glen. Au Grand Prix du Canada à Mosport, Jabouille ne peut se qualifier, les pneus n'arrivant pas à monter en température. Renault Sport déclare alors forfait pour le Japon, ultime Grand Prix de la saison 1977.



1978

En 1978, Renault s'abstient de courir aux deux premiers Grands Prix de la saison, Argentine et Brésil. Mais c'est avec un moral d'acier que Renault débarque en Afrique du Sud pour son premier grand prix de la saison 78. L'altitude à laquelle se trouve le circuit de Kyalami favorise en effet la suralimentation. La RS 01 effectue d'ailleurs le 3ème temps absolu des essais préliminaires. Jabouille est malheureusement contraint d'abandonner alors qu'il oçccupait la 7ème place.

Renault Sport est déçu mais l'espoir renaît avec les courses de Long Beach et de Monaco. Malgré le tracé de ces deux circuits en ville défavorable aux moteurs Turbo, l'incroyable arrive : la Renault Turbo pilotée par Jean-Pierre Jabouille franchit, pour la première fois, le cap de la mi-course à Long Beach, et passe pour la première fois la ligne d'arrivée à Monaco. L'optimisme gagne toute l'équipe de Renault Sport qui s'est battue avec acharnement pour faire triompher sa formule 1.

Celle-ci poursuit sa route sur les Grands Prix européens et en Suède, Michelin améliore la compétitivité de la voiture en l'équipant de pneus ultraperformants. La voiture s'améliore à tous points de vue : châssis, moteur et aérodynamique. Le 13 août en Autriche et le 10 septembre à Monza, grâce à de nouveaux échangeurs thermiques qui améliorent le refroidissement du moteur, Jabouille s'élance depuis la 2ème ligne, juste derrière les deux intouchables Lotus à effet de sol de Mario Andretti et Ronnie Peterson, démontrant ainsi l'indiscutable vélocité de la RS 01.

Le 1er octobre 1978, Jean-Pierre Jabouille marque les premiers points de l'équipe Renault en championnat du monde de F1. Un succès inoubliable !. A Watkins Glen, après avoir poursuivi la Ferrari de Carlos Reutemann et la Williams Ford d'Alan Jones aux deux premières places, Jean-Pierre Jabouille achève sa course en quatrième position.



1979

L'année 1979 marque la première saison complète de Formule 1 de l'équipe Renault Sport. Les pilotes sont Jean-Pierre Jabouille et René Arnoux, l'un des meilleurs espoirs du sport automobile français.

Côté technique, une nouvelle Renault, baptisée RS10, effectue ses débuts au Grand prix d'Espagne le 29 avril. Il s'agit d'une voiture à effet de sol, invention due au génial Colin Chapman et dont toutes les équipes ont adopté cet astucieux procédé. La vitesse de passage en courbes des F1, fortes de cette phénoménale adhérence supplémentaire, est désormais stupéfiante : René Arnoux se fait même attacher la jambe droite à l'habitacle car dans les grandes courbes à droite, son pied a tendance à quitter la pédale d'accélérateur !

Côté moteur, Bernard Dudot et Jean-Pierre Boudy ont doté le V6 d'un double turbocompresseur de marque KKK, réduisant considérablement le temps de réponse à l'accélération et conférant enfin au moteur un peu plus de souplesse.

Les premiers résultats arrivent : première pole position le 3 mars 1979 au Grand Prix d'Afrique du Sud puis première victoire le 1er juillet au Grand Prix de France à Dijon. Deux résultats obtenus par l'étonnant Jabouille.

Après le Grand Prix de France, Renault termine 2ème aux Etats-Unis. Parallèlement, en essais privés, l'équipe de Viry-Châtillon commence les tests de la RE20 (RE pour Renault-Elf), issue des RS10.



1980

Au cours de la saison 1980, Jean-Pierre Jabouille et René Arnoux vont cumuler 5 pole positions et 3 victoires, 2 pour Arnoux (Brésil et Afrique du Sud) et 1 pour Jabouille (Autriche) obtenue à l'issue d'un duel époustouflant avec Alan Jones sur sa Williams. La compétitivité du moteur suralimenté ne fait plus de doute : au cours des saisons 1979 et 1980, Renault a obtenu 4 victoires, 11 pole positions et 6 meilleurs tours en course, sans compter un nombre respectable de kilomètres parcourous en tête des Grand Prix. Pour couronner le tout, Renault fini quatrième au championnat du monde 1980 des constructeurs de Formule 1 devant des équipes aussi prestigieuses que Tyrrell, Lotus, Mc Laren, Ferrari et Alfa Roméo...

Pourtant, l'équipe subit à la fin de la saison des changements importants : après le départ en 1979 de Castaing, Jean-Pierre Jabouille signe pour la saison 1981 avec l'écurie Ligier. Le départ de Jabouille, pierre angulaire de l'épopée Renault Turbo, est assombri par l'accident du Canada. Au cours de cet avant-dernier Grand Prix de la saison 1980, la suspension de la voiture se brise et l'entraîne dans le rail de sécurité. Jabouille souffre de multiples fractures aux jambes et ne reprendra plus jamais le volant d'une F1.



1981

Quatre ans après les débuts en course de la première Renault à moteur turbo, la concurrence adopte à son tour cette technologie. D'autant plus facilement que Renault a complètement débrousaillé le terrain et que les sous-traitants sont maintenant au point. Le pari fou de Guiter, Dudot, Larrousse et les autres a abouti. La F1 donne raison à Renault...

Au côté de René Arnoux, Alain Prost, bientôt surnommé "le Professeur", fait une entrée remarquée et devient, grâce à des débuts extraordinaires, l'espoir numéro 1 du sport automobile français et international. Alain Prost a gagné ses galons au sein de la filière Renault-Elf et a effectué ses débuts en F1 chez Mc Laren. Grâce à lui, l'équipe Renault Sport trouve de nouvelles motivations.

Son pilotage sans complexe, véloce et sobre en toutes circonstances, lui permet de tirer le meilleur parti de la voiture. Prost apporte à la marque d'énormes retombées technologiques et médiatiques. Le 5 juillet, sur le tracé de Dijon-Prenois, lors de son huitième grand prix chez Renault, Prost remporte sa première victoire en Formule 1. Cette même année, il remporte également le Grand Prix d'Italie et le Grand Prix des Pays Bas, portant ainsi le nombre de victoires à 3 pour la saison 1981. Renault se retrouve ainsi 3ème au championnat du monde des constructeurs derrière Williams et Brabham.



1982

Pour 1982 et 1983, bon nombre d'adversaires des "jaune et noir" pensent qu'il sera difficile de battre Renault.

Au cours de cette saison 82, Prost et Arnoux vont décrocher 10 des 16 pole positions possibles ! Malheureusement, le nombre de victoires est beaucoup plus limité : 4 victoires (Afrique du Sud, Brésil, France et Italie) au total pour 20 abandons, c'est vraiment trop peu. Le coup le plus rude fut encaissé à Monaco où Prost avait la victoire en main quand il fut victime d'un accident au 75ème des 76 tours !

Le premier doublé de la marque au Grand Prix de France fut quant à lui entaché par un acte de rebellion d'Arnoux. En effet à 10 tours de l'arrivée, alors que les Renault caracolaient triomphalement sur le circuit Paul Ricard, Arnoux en tête, l'équipe voulu donner priorité à son pilote le mieux placé pour gagner le championnat du monde, c'est-à-dire Prost. Quand  le panneau "1. Alain, 2. René" fut exhibé devant le stand Renault à 10 tours de l'arrivée, Arnoux fit mine de ne pas le voir et triompha avec plus de 17 secondes sur son équipier...

Sans toute cette malchance, Prost et Renault auraient pu décrocher leur premier titre de champions du monde...



1983

Après la brouille fameuse qui l'a opposé à Prost à l'arrivée du grand prix de France 1982, Arnoux a quitté Renault pour Ferrari et a été remplacé par le jeune Italo-Américain Eddie Cheever.

Par ailleurs grande nouveauté, Renault fournit maintenant son V6 turbo à l'équipe Lotus dont les élégantes monoplaces noires et or sont pilotées par Elio de Angelis et Nigel Mansell.

Tout au long de la saison, Alain Prost au volant de la magnifique RE 40, ferraille en tête du championnat du monde, remportant 4 victoires. Tant et si bien qu'au Grand Prix de Hollande, le 28 août, il est en mesure de s'adjuger son premier titre et surtout d'offrir à Renault cette couronne tant espérée et tant méritée. Las... alors qu'il se trouve en embuscade derrière un Piquet contraint à ravitailler, Prost commet l'un des rares excès de précipitation de sa carrière. En l'attaquant, il accroche la Brabham et les deux voitures vont au tapis. Lors des deux courses suivantes, le pire des scénarios imaginables se produit : Piquet rafle coup sur coup deux victoires et tout va donc se jouer sur un seul Grand Prix, à Kyalami en Afrique du Sud. Piquet n'a en effet que deux points de retard sur Prost.

Malheureusement, ce fut un jeu d'enfant pour le Brésilien. A kyalami, sa Brabham BMW oublia littéralement la Renault de son rival. Lequel, en s'efforçant de lui donner la réplique, finit par pousser son moteur à la rupture. Prost KO, Piquet termine la course en roue libre en 3ème position. Ce résultat lui est suffisant pour devancer le Français pour le titre. Mais on n'en avait pas fini avec les scandales : le brusque regain de vitalité du moteur BMW sembla trouver une explication. Après analyse, le carburant utilisé par l'équipe Brabham s'avéra hors normes, au-delà des 102 d'octane autorisés ! Considérant que c'était à la FIA de veiller à l'application stricte de ses réglements, Renault ne portera pas réclamation : "Une erreur terrible", juge aujourd'hui Gérard Larrousse...

Le désaroi est immense. Le mariage Prost-Renault n'y résiste pas...



1984

Pour la saison 1984, Renault Sport fait appel à Patrick Tambay et Derek Warwick pour succéder à Alain Prost et Eddie Cheever. Côté moteurs, à Lotus qui garde les mêmes pilotes, Elio De Angelis et Nigel Mansell, vient se joindre Ligier qui enrôle le jeune espoir François Hesnault et Andréa De Cesaris. 

Malgré de très hautes performances et notamment un moteur V6 turbo toujours en progrès, ni Tambay ni Warwick ne parviennent à décrocher la victoire. Ce sont les Lotus conçues par Gérard Ducarouge qui sauvent l'honneur de la marque, avec la 3ème place au championnat constructeurs, contre la 5ème pour la maison mère...



1985

1985 est la dernière tentative de Renault. Après Jean-Pierre Boudy, parti en 1984 chez Peugeot, c'est au tour de Gérard Larrousse de laisser sa place. Il est remplacé par Gérard Toth qui décide alors de fournir en moteurs quatre écuries ! Renault Sport avec les mêmes pilotes, Lotus avec Elio De Angelis et Ayrton Senna, Ligier avec Jacques Laffite et Andréa De Cesaris, remplacé au cours de la saison par Philippe Streiff et à compter de la mi-saison Tyrrell avec Martin Brundle et Stefan Bellof auxquels succéderont Ivan Capelli et Philippe Streiff après la mort à Spa du jeune prodige allemand au volant d'une Porsche sport prototypes...

Cette année-là, le talent naissant d'Ayrton Senna sauve les meubles. Sa première victoire, obtenue au Portugal dans des conditions extrêmes, entre dans les annales. Le Brésilien y étala avec une magistrale maîtrise un brio et un sang-froid dignes des plus grands.

Chez Renault, en F1, et en voiture de série, commence une période difficile. Le président Georges Besse décide alors d'instaurer une restructuration qui entraîne, à l'issue de la saison 1985, la cessation des activités "châssis" de Renault Sport. L'avenir de la F1 au sein de l'entreprise est compromis, même si Renault continue ses activités de motoriste.



1986

Dès le premier grand prix 86, le V6 turbo est équipé d'une distribution pneumatique. Malgré d'importantes restrictions budgétaires, les hommes de Dudot continuent d'innover.

Chez Lotus, Ducarouge a conçu en un temps record une formidable monoplace, la 98T, au volant de laquelle Ayrton Senna décroche les Grands Prix d'Espagne et des Etats-Unis.

Le moral n'y est plus vraiment mais les hommes de Dudot continuent de travailler comme si tout devait continuer. En vain... A la fin de la saison 86, Renault se retire complètement  du monde de la F1.

Pour 1987 et 1988, les moteurs turbo seront limités en puissance avant d'être définitivement bannis en 1989. A juste titre. Avec près de 350 km/h de vitesse de pointe et des vitesses de passage en courbe de plus en plus rapides, développant des puissances proches de 1500 chevaux en qualifications et de 1000 en course, les F1 devenaient effrayantes...



Texte inspiré des livres "L'Histoire officielle du Champion du Monde Renault" et "Champions du Monde, 20 ans de Renault en F1" de Pierre Gaston